Franco-suisse, né à Grenoble en 1954, diplômé en 1979 de l’Union Centrale des Arts Décoratifs. Graphiste Indépendant, roughman et Directeur Artistique de 79 à 86, Cofondateur et Directeur de création de L’BB, bureau de création graphique jusqu’en 1999. Graphic designer free-lance depuis 1999 dans l’édition et la communication. Peintre et photographe depuis 1986, président du Salon Figuration Critique.
Franco-Swiss, born in Grenoble in 1954, graduate of the Central Union of Decorative Arts. Independent graphic designer, roughman and Artistic Director from 79 to 86, Cofounder and Director of creation of the LBB, Company of graphic design until 1999. Graphic freelance
designer since 1999 in edition and communication. Painter and photographer since 1986 and president of the Figuration Critique Group.
Ils ont dit…
Bleu, voyage, nomade, urbain, poésie, écritures, traces, mémoire, sol, sable, légèreté, profondeur, jeu, surprise, et cela continue…
On pourrait lire les tableaux de Claude Lieber comme on lit un poème : car Claude Lieber fait de la poésie en peinture, comme d’autres avec des mots. Images, sensations, souvenirs, fulgurances, déclarations, suggestions : l’art pictural c’est cela aussi.
Les toiles de l’artiste sont généreuses : en taille d’abord, assez souvent, car Claude Lieber affectionne les grands formats. Ses toiles doivent accueillir les mille et une idées qui éclosent dans son imaginaire. Claude les exprimera avec des couleurs, collages, écrits, fragments d’affiches ou d’imprimés, photographies, ou tout autre matériau ou procédé pictural ou graphique, comme la sérigraphie ou la teinture de papiers…
Dynamiques et animées, les créations de Claude Lieber nous parlent de nos vies, du mouvement de la ville, de l’écrit devenu omniprésent à notre vue, des traces anciennes du passé dont nous sommes héritiers, de cultures lointaines devenues partie de notre quotidien, comme lorsqu’il insère des publicités américaines ou des calligrammes chinois.
L’hébreu est présent aussi, autant pour la beauté graphique des caractères que pour leur abstraction pour qui ne lit pas cette langue, mémoire familiale que l’on porte en soi, identité affirmée mais composante parmi d’autres seulement que l’on met en scène ici, lien-hommage à une lignée, enracinement et repère malgré tout dans les voyages que l’on entreprend.
«La note bleue» dit-on pour caractériser le jazz, et les toiles de Claude Lieber, où cette couleur est reine, partagent avec le jazz la modernité, une pulsion, un rythme, une énergie également, fusion d’éléments divers qui créeront une réalité nouvelle, surprenante mais cohérente, à l’instar de cette musique née du métissage de diverses cultures, de l’union entre modernité et tradition.
Liberté : le bleu est couleur de l’évasion, de l’apesanteur, celle de l’air, du ciel, du non-matériel. C’est donc, par essence, la couleur de la liberté. Même lorsque le bleu se fait bleu nuit, il continue d’évoquer l’espace. En dernière instance, comme le jazz également, qui est un collage d’éléments musicaux librement choisis, c’est de liberté que nous parlent les peintures-poèmes de Claude Lieber. Celle qui fonde l’identité même de l’artiste. Et en miroir, celle qui devrait être celle de chacun de nous.
Nadia Khouri-Dagher, écrivain et journaliste
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Plus directement actif est l’art de Claude Lieber, puisqu’il mime, par construction, les stratifications de la mémoire. Sans doute aussi plus intérieur, plus subjectif. Il mêle ainsi graphies diverses et calligraphies, coupures imprimées, empreintes digitales et végétales, photos jaunies, etc. Il colle, superpose et emboîte les matériaux les plus divers, veillant à ce qu’ils se chevauchent, afin qu’à la fois, partiellement, ils se masquent, s’oblitèrent et s’entrebâillent les uns sur les autres. Multiples empiètements et joutes mnésiques, à l’image de l’inscription de nos souvenirs. Son art me fait penser encore au colleur d’affiche qui, dans le métro, arrache certains jours les épaisses feuilles colorées accumulées, dont on perçoit soudain la sédimentation celée et dont les bords irréguliers dévoilent à nos yeux l’hétérogène diversité, disposant éphémèrement les plans successifs en une improbable et partielle juxtaposition.
À ceci près que Claude Lieber, lui, ne colle jamais, pour finir, par-dessus une belle affiche lisse et neuve qui nous inviterait, oublieux, à nous abandonner aux amènes miroitements du plaisir présent, mais laisse toujours béer la déchirure.
Ici donc, la proximité se creuse…
Fernand Cambon, Galeriste
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interview sur Hubbub art
Réalisée par Léana Zocolan
le 20 janvier 2021
Bonjour Claude Lieber et merci pour le temps que vous accordez à mon interview
Vous avez suivi un parcours artistique, étant diplômé de l’Union Centrale des Arts Décoratifs en 1979. Pouvez-vous nous parler un peu de cette période, de vos débuts dans le monde de l’art et ce que cette expérience a pu vous enseigner de précieux ?
« J’ai suivi un cursus de communication visuelle qui ouvrait à de larges horizons de possibilités, de larges choix de carrières et projets aux Arts Déco. Cela m’a ouvert sur énormément de choses. Je voulais devenir graphiste. J’ai un professeur qui m’a embauché à la sortie de l’école après mon diplôme. J’ai travaillé quatre ans dans son studio en tant qu’indépendant. Cela a aiguisé ma curiosité car j’ai pu toucher à plein de disciplines, que ce soit la photo, le graphisme, la typographie. J’ai donné des cours d’arts plastiques et je suis photographe en même temps. Je le suis devenu au fil du temps. Ce que ça m’a apporté, c’est une ouverture culturelle, une curiosité artistique sur la peinture, la sculpture, la photo, la musique, le théâtre. Je considère que tout est lié, tout se répond et s’entrechoque. C’est aussi pour cela que je fais du collage. C’est plus touche-à -tout et fait intervenir différents matériaux et supports.»
Vous avez eu un parcours très riche, vous êtes graphiste, Directeur artistique, Directeur de création, Graphic designer, peintre et photographe. Vous semblez avoir besoin de changement, d’évolution, une envie de tout faire, tout expérimenter par hasard ?
« Oui c’est un peu ça. J’ai toujours refusé de me spécialiser dans une matière quelle qu’elle soit parce que je trouvais cela bien trop limité. Je ne voulais pas risquer passer à côté de quelque chose qui pouvait m’intéresser. Moi j’aime bien la richesse parce que je trouve que tout ce qui nous entoure culturellement, graphiquement, est passionnant. Je travaille beaucoup sur le signe et sur la trace. J’imagine que c’est surement un défaut de graphiste mais bon. L’on vit environnés de signes, de logos, de plaques de marquage. Je fais beaucoup d’estampage aussi. Je ne pars jamais en vacances sans papier, huile, chiffons pour réaliser des empreintes de marquages sur des murs, des grilles en fer forgé ou des pierres tombales même. Je mélange tout cela au travers de mes collages. »
En parlant de tout faire, la notion de totalité résonne beaucoup dans votre art. Il semblerait que vous essayez aussi de tout montrer. En effet, vous aimez les grands formats, sûrement parce que vous souhaitez y mettre le plus d’idées et émotions possibles. Pensez-vous qu’il faille en faire beaucoup pour en dire autant ? Le peu d’informations ne peut-il pas être éloquent également à sa façon ?
« Si complètement. Moi quand je travaille même sur un grand format, j’accumule les signes, les traces, les bouts d’histoire, la mienne comme celle des autres. Et ensuite je camouffle tout ça, je cache par des strates successives de papier, de transparences pour que tout ne soit pas décelable immédiatement. J’aime noyer le poisson pour qu’on ait besoin de pénétrer dans le tableau et y découvrir plusieurs niveaux de lecture, qu’on puisse se le réapproprier même. Ce qui m’intéresse c’est la partie cachée de ce que l’on montre. J’aime ce qui est suggéré mais pas donné dès le premier regard, que l’on s’en détourne un peu. C’est pour cela que j’ai appelé certaines de mes toiles « diffraction » car j’aime cette diffraction de la lumière, de la toile, de la peinture. C’est aussi pour cela que j’aime beaucoup faire des polyptiques. La dilution du message devient un bout de votre histoire également. »
On dit de vous qu’on pourrait admirer vos œuvres comme s’adonner à la lecture d’un poème. Peut-être connaissez-vous cette citation d’Horace : « Ut pictura poesis », la poésie comme la peinture. Que vous inspire-t-elle ?
« J’ai fait beaucoup de parallèles avec la littérature, notamment avec Patrick Modiano que j’adore. J’ai même intitulé quelques tableaux « Modiano 1 », « Modiano 2 ». Il a la même démarche que moi en peinture, c’est-à-dire il va partir d’un détail infime d’histoire du passé et essayer de reconstituer une trame même si elle n’est pas linéaire. Il va chercher à récupérer des bribes, des morceaux d’histoire du pays ou d’une amie par exemple. C’est cela que j’aime beaucoup. Je m’inspire aussi d’Aragon, notamment dans son ouvrage « Aurélien ». C’est la même démarche, il cherche dans toutes les femmes possibles la femme qu’il a aimée, on met en avant la question du visage, du masque, de l’identité. Je me nourris beaucoup de lectures, ces textes me parlent énormément. »
Qu’essayez-vous de transposer sur la toile ?
« Je travaille beaucoup sur les souvenirs, mon enfance et l’histoire. J’y mêle souvent des bribes familiales. Finalement ça, ce sont mes névroses à moi, les manques que j’ai pu avoir étant petit, de tendresse, d’affection. Je mets souvent mon père dans mes tableaux par exemple, c’est une manière de lui redonner vie et existence. Je n’ai jamais pu parler avec lui, voilà pourquoi cela me travaille et pourquoi je cache les éléments, c’est une espère de pudeur aussi finalement. »
L’on voit beaucoup revenir le thème de l’urbain, de la ville dans vos œuvres. Est-ce une source d’inspiration pour vous ? Quelle est la place de la nature ?
« Cela rejoint ce que je vous disais au début, on vit dans un monde constellé de signes de tous types. Les signes sont omniprésents. L’on porte tous toute une tartine de logos sur soi, sans s’en rendre vraiment compte. Cela me parle car il s’agit de la composante de nos vies urbaines. On ne peut y échapper tout en passant dessus sans s’en rendre compte.
Des œuvres représentant la nature ? Non il n’y en a pas beaucoup à vrai dire. Je suis principalement urbain, je m’ennuie vite à la campagne. Ceci explique peut-être cela. Tous les signes que je peux estamper sont souvent présents dans la ville. Certes cela peut arriver à la campagne, sur un mur de grange par exemple, mais c’est bien plus rare. Je travaille sur la mémoire, le temps, la trace. Je tente de reconstituer le fil de l’oubli. Cela résume assez bien ma démarche, la recherche un peu informelle, éthérée. »
L’envie de voyage semble également s’inscrire dans vos créations. Quel a été le voyage physique ou spirituel qui vous a révélé artistiquement ?
« Je ne dirais pas que cela m’a révélé artistiquement mais j’ai ressenti une énorme émotion en entrant dans la Basilique Saint Marc à Venise. J’ai pleuré en l’admirant. J’ai également été très touché devant « La chambre des époux de Mantegna » à Mantoue. Je suis resté devant pendant deux heures. Cela m’a ému au plus profond de moi. Voilà deux énormes émotions artistiques, centrées en Italie principalement. C’est au niveau de la somptuosité, ou de la technique. Ce sont des émotions pures, non intellectualisées.
J’ai toujours admiré les peintres comme Bacon qui mettaient leurs tripes sur la table, ou même Norman Rockwell dans un style plus américain. J’aime aussi beaucoup la peinture flamande, en particulier celles de Van Eyck. »
L’amour du bleu, d’où cela vous vient ? Si vous deviez citer une autre œuvre bleue, une œuvre qui suscite en vous des émotions, laquelle serait-elle et pour quelle raison ?
« Mes couleurs de prédilection vont du bleu au noir, j’aime les bleus et noirs profonds. C’est une couleur avec laquelle je me sens bien. J’ai fait quelques essais dans les rouges, mais il y a toujours du bleu.
J’ai été très marqué par les plafonds de la Scuola Grande (Venise) peints par Tiepolo qu’on croirait peints de la veille tellement ils ont l’air frais… J’adore aussi le velouté exquis des drapés dans les portraits de femme chez Sargent ou chez Rossetti (Proserpine) et surtout toutes les nuances des bleus d’azur chez Alma Tadema.
J’ai aussi été très touché par l’œuvre au noir de Soulages, mais parce que dans le noir il y a du bleu et toutes les couleurs aussi même. Cela m’empêche de me restreindre. Je n’ai jamais voulu rentrer dans un moule, et comme j’ai un problème avec l’autorité aussi, cela prend tout son sens. Vous voyez, le bleu est froid mais pas tant que ça, c’est la couleur où l’on peut y mettre soi-même toute sa profondeur. C’est l’eau mais aussi les abysses, c’est plein de profondeurs diffuses ou diverses qui sont physiques ou non. »
D’où tirez-vous votre inspiration ? De souvenirs ?
« Je dirais de l’histoire familiale ou générique. J’ai fait des tableaux en utilisant des photos que j’avais trouvées aux puces représentant de vieilles familles italiennes par exemple. Parce que la photo m’a touchée, un groupe de personnes autour d’une table, des gens pauvres. J’ai aussi fait deux tableaux qui tournaient autour de tirailleurs sénégalais parce qu’encore une fois j’étais tombé par hasard sur une petite photo chez ma belle-mère qui avait passé la guerre dans le Jura. Elle donnait à manger à un régiment de tirailleurs sénégalais qui s’étaient égarés et avaient perdu leur compagnie, qui se cachaient dans la forêt. Elle avait une photo d’eux. Elle a fini par me dire qu’ils n’étaient pas morts de la guerre mais de froid dans cette forêt. Cela m’a touché, je les ai donc incorporés dans deux de mes toiles, c’étaient des bribes d’histoires humaines je dirais.
Le reste ce sont des bribes familiales oui, mon père à l’âge de 17 ans, mes grands-parents, ma tante. C’était une manière de les faire resurgir du néant. Cela m’est arrivé aussi de faire une commande pour une personne qui m’a demandé de faire un tableau sur son histoire personnelle, ses aïeux. Cela lui parlait plus à lui car c’étaient ses propres souvenirs. N’étant pas mon histoire, c’était un exercice assez complexe. »
Et enfin je vous ai demandé de sélectionner des œuvres que vous aimez dont une que vous affectionnez particulièrement. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
« Souffrances et tremblements » est un tableau crucial pour moi. J’ai du mettre six mois à le réaliser. Il y a des parties de texte que j’ai écrits qui sont mêlées à des fragments de Rainer Maria Rilke, Modiano et d’autres. J’ai mis beaucoup de temps à le réaliser, j’ai dû le refaire dix fois, j’ai changé les panneaux, refait les fonds, changé des parties. Il m’a donné du fil à retordre. J’ai mis du temps à être satisfait du résultat. C’était une réelle souffrance à le réaliser, mettre au point et être content du résultat. terminer aussi, d’où le titre. Il y a toute une histoire qui se rattache à cette œuvre.
Il me vient aussi d’un texte de Rainer Maria Rilke dans « Notes sur la mélodie des choses ». Il s’agit d’écrits sur l’art, la condition de l’artiste, la solitude. Il y a des bribes de ce texte dans « Souffrances et tremblements » c’est pourquoi il s’’intitule RMR.
Ce que ce tableau porte en lui me rattache à des émotions importantes. Je mets souvent des extraits de prières juives, c’est un peu mon histoire aussi.
J’aime bien Gotham également car j’ai été nourri des histoires de Batman, j’aime aussi beaucoup la littérature américaine. C’est assez urbain, beaucoup d’immeubles, de racines des villes qui montent, s’élèvent et forment ces buildings. Il y a moins de bleu, mais il transparait quand même dans un univers assez dark. Je n’ai pas d’explication intellectuelle par rapport à tel ou tel tableau, davantage des ressentis sentimentaux, émotionnels. Tout simplement. »
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